cahier de pensées éparses
Aujourd’hui, j’ai envie de parler d’argent… L’argent, ça me pue au nez, je ne suis pas à l’aise d’en demander et je hais négocier. Mais comme nous tous, j’ai mon hypothèque à payer, l’électricité, l’épicerie, l’auto, les assurances, les gâteries, les soupers en amoureux ou entre amis, le linge, le déneigement, l’internet… Toutes ces choses nécessaires (ou pas) qui constituent la base de notre mode de vie occidental. Je n’ai jamais fait mes choix de vie en fonction de faire « la motte », j’ai toujours choisi en fonction de mes intérêts, de mes passions et de mes valeurs. J’ai essayé plusieurs chemins avec plus ou moins de succès. J’ai un parcourt atypique et tellement fôrrrmidable. Et je suis une ARRRtttisssste (à dire avec un faux accent français en se prenant très au sérieux)… En fait, je suis une artisane. Une fille passionnée qui aime son métier et qui est fière de produire, de ses mains, de la beauté pour ce monde quelque fois gris. Mais qui est encrée les 2 pieds dans la réalité, dans la matière et pour qui le costume de l’emploi c’est un tablier de cuir et des marques de suie (ou de pâte à polir) dans le front. Bien loin du glamour qu’on peut imaginé en voyant le résultat tout poli et brillant de mille feux. Où est l’argent dans tout cela ? J’y viens. Donc je suis artisane. J’aime ce que je fais, sincèrement et sans aucune retenue (avec des fois un mélange amour-haine, mais toutes les passions ont le dont de susciter les extrêmes). Mais pour pouvoir créer, me consacrer à mon art, il faut que je le vende. Que je marchande ma passion… Je le fait plusieurs fois par année, je sors avec tous mes bébés, patiemment mis au monde et préparés, tout brillants, tous polis, pour leur sortie dans le grand monde. Moment où ils seront adoptés par des étrangers de passage, en échange de dollars. Des étrangers qui, je l’espère, les chérirons avec le même soin que celui que j’ai eu à les créer. C’est aussi le moment où je partage ma passion, où je lève le voile sur mon travail. Les gens aiment savoir comment c’est fait. Ils aiment moins savoir à quel point c’est dur. C’est moins Glamour… Comment c’est difficile de travailler son 40h semaine au bureau – pour le pain et le beurre – et le soir rencontrer ses clients, le matin faire la promotion sur internet et entretenir la boutique en ligne et la fin de semaine consacrer une journée, ou une demi-journée faut de mieux, à la production. Comment c’est exigeant de se lever à 4h du matin pour travailler 2-3hr avant de partir travailler parce que la fin de semaine a pas été assez longue et que le bijou est attendu pour ce soir. « T’as qu’à mieux gérer ton temps » dirons plusieurs… Le temps. Le temps ! On y reviendra. C’est le fun de se faire dire qu’on travaille bien, que c’est beau, mais quand c’est la 20e fois dans la même heure et que je n’ai pas fait une vente dans les dernières 4… Et qu’on me dit avec un petit sourire « Continu ton beau travail »… J’ai envie de hurler, si c’est beau… POURQUOI T'ACHÈTES PAS ? Si tu veux que je continue, il faut m'en donner les moyens ! Les encouragements c’est bien, mais ça ne paie pas le loyer. Ni les matériaux pour continuer mon « beau travail ». Je sais que je fais un travail de qualité : j’utilise des matériaux de qualité et j’y mets tout mon cœur et toute mon expérience. Mais je dois défendre mes prix et me battre pour que le grand public reconnaisse ce que ça vaut. Il est tellement décourageant de voir des grandes vedettes vendre des produits de moindre qualité à des prix de loin supérieur et de voir les gens en redemander… Beaucoup de gens bien intentionnés me demande fais-tu tel gros salons, as-tu une boutique ? Vends-tu sur tel site ?« Tu devrais mettre en consigne » ou « Tu devrait faire tel produit, ça se vendrait », « As-tu pensé à tel truc ou tel autre truc… C’est simple, y’à qu’à… ». Je prends alors une grande respiration intérieure et je m’empêche de leur dire : « Ça fait 10 ans que je fais des bijoux dont 5 durant lesquelles j’ai lu, j’ai cherché des modèles et j’ai passé - je passe encore - absolument toutes mes moment de réflexion libres (au volant – en dérivant vers le sommeil – au toilette – en faisant la vaisselle… tous ces endroits incongrus où l’esprit vagabonde) à trouver un moyen pour que ça marche, pour rejoindre ma clientèle, la développer, la fidéliser… Le principal problème est que j’ai foutrement juste 24h par jour et 7 jours par semaine et que peu importe ce que je fais, j’ai besoin de mes 8hr de sommeil… Le temps est ce truc qui s’achète pas vraiment (pas quand t’est une Arrrttiisssss cassée) et qui fuit sans qu’on puisse le rattraper. Parce que tous ces as-tu pensé ou c’est simple tu n’as qu’à… ils prennent du temps et si y’a quelque chose que j’ai moins que de l’argent, c’est du temps ! Mais à la place, je souris et je leur dit pourquoi leur idée est bonne et pourquoi elle ne marche pas dans la situation. Parce que je sais qu’ils sont plein de bonnes intentions et qu’ils aimeraient me trouver une solution miracle, mais qu’il y a plein de facteurs qu’ils ne prennent pas en compte parce qu’ils ne sont pas dans mes souliers et qu’ils ne peuvent concevoir le temps que toutes ces bonnes idées prennent et toute les ressources que ça mobilise. Même moi, j’ai encore de la misère à me figurer tout cela ! Et, plus souvent qu’autrement... je m’aperçois que ça prends plus de temps que prévu ! Quelques exemples : 4 hr le samedi après-midi, c’est suffisant pour monter un dossier pour une subvention (Yé des sous gratiss !). Non, 2 jours de travail étalés sur une semaine (ou plus) parce qu’il faut attendre des réponses pour des pièces justificatives à fournir… Monter un dossier pour des bagues de finissants, j’ai le temps de faire ça en fin de semaine... Non, ça m’a pris 4 jours de travail étalés sur 2 semaines pour la recherche artistique, les esquisses, les propres des esquisses, demander des précisions au responsable, écrire le dossier, trouver les prix des matériaux, envisager toutes les possibilités et estimer le prix final – un prix juste pour les étudiants, mais qui couvre toutes les dépenses. Aller porter des bijoux pour une exposition clé en main - Cool – je fais juste les préparer et je ne m’occupe pas du montage ni de la vente, 1hr et c’est fini ! C’est plutôt 6hrs de travail pour nettoyer, emballer et étiqueter clairement chacun des bijoux et faire l’inventaire avec liste de prix et description des matériaux ainsi que les modalités – par exemple la bague peut-elle être agrandie si oui de combien, etc. Afin qu’une personne ne connaissant rien de mon travail puisse informer les clients. Plus aller les porter et parler avec la personne responsable, soit une autre heure. Un site internet… j’ai finalement osé m’y attaquer…. Une partie de ma semaine de vacances y a passé, et encore, la version anglaise n’est pas en ligne et il me manque une ribambelle de petites descriptions… Sans compter l’entretien et les suivis… Une boutique en ligne… j’ai même pas essayé d’estimer un temps : 3 semaines à temps presque plein de préparations pour la rédaction : présentation de l’entreprise, ses inspirations et valeurs, les politiques, les balises. Prendre les photos et mettre en lignes les premiers items et ouvrir la boutique. Ensuite, 3 mois à raison de quelques heures par semaines pour prendre les photos des autres modèles et les mettre graduellement en ligne. Depuis, environ 15 minutes chaque jour pour l’entretien, plus les suivis avec les clients et l’ajout de nouveauté. Donc entre 2 et 3 hrs par semaine. Plus la préparation de coli et la poste lors des ventes (c’est le but de la chose, mais ça prend aussi du temps) Donc si on compte dans une semaine normale de 7 jours (168hrs) :
Ou voir cette amie que je n’ai pas vue depuis des mois, coller mon amoureux, aller magasiner parce que j’ai besoin de terre pour mon jardin – faire mon jardin ! Et touts ces autres trucs qui font que la vie vaut la peine. Donc quand on me dit : « Pourrais-tu faire cela… à temps perdu ». Une des neurones responsable de ma gestion du temps éclate et je manque m’étouffer d’un rire maniaque et à moitié fou… Quel temps perdu ???? ! Et l’argent dans tout cela ? L’argent, c’est le nerf de la guerre. Tous s’entendent pour le dire. Parce que, le temps, dans une certaine mesure…. s’achète ! J’ai réalisé, il y a quelques années que oui, je suis artisane, oui, je suis capable de faire beaucoup de trucs. Et que oui, il y a matière à économiser en faisant une large part de chose moi-même. MAIS, ce temps que je passe à pelleter ma cours l’hiver (non je ne le fais pas… je hais pelleter surtout à 6h30 le matin… et j’ai pas le temps ! C’est toute la nature du point que j’apporte), c’est du temps que je ne passe pas à m’occuper de mes clients ou faire ma promotion sur internet. Et donc en payant pour ces trucs, je me dégage du temps pour faire ce que je suis bonne à faire et, souvent, en comparant le salaire que je devrais me payer et ce que ça me coute de payer quelqu’un… Je suis gagnante (2 minutes avec le tracteur du déneigeur ou 30 minutes armée de ma pelle ça vaut la poigné de 100$ par année !). Donc payer un juste prix pour mon travail, me permet non seulement de payer mes comptes et vivre, mais aussi de consacrer plus de temps à mes bijoux et au suivi des demandes. De parfaire mes connaissances et mes habilités dans ce qui est vraiment mon art et non à faire des économies en faisant moi-même des trucs que je pourrais payer quelqu’un d’autre pour faire. Et ça aide à faire vivre ce quelqu’un d’autre qui à son tour fera vivre quelqu’un d’autre, c’est une roue qui tourne. Chaque dollar investi localement amène des retombées locales. Ceci dit, nous avons tous un budget à respecter et des choix à faire. Et je comprends très bien que je fais du produit non-essentiel. Du luxe. Mais – comme le répète plusieurs – payer, c’est voter. À chaque fois que vous achetez quelque chose, vous supporter la compagnie qui le fabrique/vend et toutes les valeurs sur lesquelles elle repose. Donc la prochaine fois que vous avez le choix entre vous acheter ces 3 morceaux de linges fabriqués en Chine dans des conditions qui ne respecte ni les droits ni la dignité ou un morceau d’une couturière d’ici… Réfléchissez plus loin que le prix ou la quantité. Il est certain qu’il est plus difficile, au quotidien, de toujours faire ces choix – je ne réussi pas toujours moi non plus. Mais un choix à la fois, ça fait une différence. Et de grâce, ne négociez pas à la baisse le travail d’un artisan. Oui, vous consentir ce 15-20$ de rabais ne l’empêchera probablement pas de manger le soir, mais cela amoindrit sa capacité à renouveler son équipement, à acheter du matériel pour sa création, à faire de la recherche. À chaque fois que vous négociez un artisan, c’est son pouvoir de grandir, de réinvestir et de se libérer que vous lui enlevez. Ceci dit, certain exagèrent… Placez votre vote ailleurs ! Mais avant, prenez un temps de réflexion pour vous demander si réellement c’est de l’exagération ou si c’est votre perception à cause de ce souhait de payer le moins cher possible… Combien de fois ai-je entendu lorsque je soulève le point de la rémunération : « Au moins tu fais quelque chose que t’aime… ». D’où vient l’idée si largement répandu que faire ce que l’on aime compense pour les heures supplémentaires non payée ? Pour les fins de mois difficiles ? Les conditions précaires ? L’isolement ? La fatigue ? Le surmenage ? La conciliation travail-famille-passion ? Ça console, mais ça ne compense pas ! Oui, je fais quelque chose que j’aime... Plus un gros paquet de trucs que j’aime moins… La comptabilité ou le marketing par exemple. Ce n’est pas parce que je fais ce que j’aime et que je travaille dans un domaine créatif que ça justifie que j’aie de la difficulté à avoir un salaire décent. Il y a plein de gens qui font ce qu’ils aiment et gagnent un salaire décent. Y’en a même qui font ce qu’ils aiment et font un salaire indécent ! Autre préconception que je souhaite pointer… Et là, tous les travailleurs à la maison vont se reconnaître : ce n’est pas parce que je reste à la maison que je ne travaille pas et que c’est justifié devenir me déranger juste pour jaser sous prétexte que je suis là… Cela m’a pris des années avant de dire (et de penser) « Demain, dimanche, je travaille toute la journée », les gens au début me demandais s’il y avait quelque chose de spécial au bureau pour que je rentre la fin de semaine et je devais expliquer que je ce n’est pas au bureau, je suis en production et qu’il y a beaucoup de pièces qui m’attendent sur le dessus de mon établi et que toute ma journée (et la fin de semaine prochaine aussi et l’autre d’après, très probablement) y passera. C’est pas parce que c’est ma passion et que j’ai aucun boss pour me regarder puncher que ce n’est pas un travail… Avec le temps, mes amis en sont venus à l’accepter et à le comprendre assez bien. Mais j’ai dû répéter souvent et justifier souvent pourquoi je consacrais autant de temps et d’énergie à cela alors que les gens me disaient : tu t’en mets trop sur les épaules… tu n’es pas obligé d’en faire autant… tu devrais te reposer à la place… Je suis d’accord, j’aimerais beaucoup… On revient à l’argent… Je veux vivre de mon art, pour pouvoir m’y consacrer, pour donner forme à tous ce qui se trouve juste là, à la limite de mon imagination. Pour cela, il faut se faire connaître, il faut vendre, il faut offrir un bon service, il faut rencontrer des gens, rechercher des nouveautés, faire de la paperasse… Et bien plus. Et personne ne le fera à ma place. Parce que si je n’ai pas un peu de pression, je procrastine (comme la majorité des humains) et que je serai seule avec mes déceptions si je ne fais pas tout en mon pouvoir pour ne pas me réveiller à l’aube de la retraite avec une entreprise encore en démarrage… Parce que je me suis reposée et que j’ai été occupée à gagner ma vie pour payer ma retraite…. Voilà, maintenant que j’ai bien ventilé, peut-être choqué certains, il me reste à conclure. Je suis artisane, je pourrais être peintre, entrepreneure, couturière, pâtissière et bien d’autre. Ma situation est loin d’être exceptionnelle. Voilà un bout de notre réalité.
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L'AuteurVoici un cahier de pensées éparses sur ma vie d'artisanne, ses divers enjeux et récompenses. Archives
Octobre 2020
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